Mort de Vincent Lambert : onze années de controverse
L'accident
Accident de voiture et traumatisme crânien : l’infirmier Vincent Lambert est plongé à 32 ans dans un coma végétatif, dont il sort pour atteindre ce que les médecins décrivent alors comme un « état de conscience minimale ».
D’après eux, son cerveau fonctionne toujours et est encore capable d’assurer des fonctions vitales comme la respiration. Il est ensuite régulièrement transféré d’hôpital en hôpital dans les années qui suivent, sans amélioration de son cas.
Admission au CHU de Reims
Crédit : Remi WAFFLART/MAXPPP/MAXPPP
Vincent Lambert revient définitivement au centre hospitalier universitaire (CHU) de Reims, où il suit 87 séances d’orthophonie pour tenter d’établir un code de communication, sans succès.
Un premier arrêt des traitements contesté par Viviane Lambert, sa mère
Crédit : IP3 PRESS/MAXPPP
Le docteur Eric Kariger et son équipe du CHU de Reims disent observer chez Vincent Lambert des réactions interprétées comme des refus de soins et décident, en accord avec son épouse Rachel, d’arrêter sa nutrition artificielle et de réduire son hydratation. Une interruption permise par la première loi Leonetti sur la fin de vie, adoptée en 2005.
Mais cet arrêt des traitements se fait sans en informer les parents. Une partie de la famille conteste donc cette décision et saisit la justice : « Notre souhait c’est que Vincent se réveille, qu’il ait sa revanche et que lui-même décide de cette décision », déclare alors Viviane Lambert, sa mère.
> Pour aller plus loin : Comment se déroule un arrêt des traitements ?
Première décision judiciaire et fin de l'arrêt
Après 31 jours d’interruption, le juge des référés ordonne en urgence de rétablir alimentation et hydratation. C’est la première décision judiciaire de ce qui deviendra rapidement « l’affaire Vincent Lambert », l’un des symboles en France du débat sur la fin de vie et sur le traitement des personnes cérébrolésées.
Les médecins en faveur d'un nouvel arrêt des traitements
François Lambert, neveu de Vincent et favorable à un arrêt des traitements. Crédit : Arif Ali / AFP
Les deux parties de la famille qui s’opposent trouvent un terrain d’entente et lancent une nouvelle procédure, avec des médecins choisis par les deux camps. Le résultat de cette étude est sans appel : cinq médecins sur les six convoqués se prononcent en faveur de l’arrêt des traitements, en accord avec six frères et sœurs de Vincent Lambert ainsi que son épouse.
« C’est ce que Vincent pensait quand il était valide : il ne voulait pas vivre comme ça, parce qu’il était infirmier et qu’il connaissait ce genre de cas. L’équipe médicale, sans savoir ça, a remarqué que Vincent refusait les soins. Les deux se sont croisés », explique alors François Lambert, son neveu, favorable à l’arrêt des traitements. Une interprétation de la volonté de Vincent Lambert contestée par les parents.
Le CHU de Reims décide d'arrêter la nutrition et l'alimentation de Vincent Lambert
La décision d’arrêter les traitements est de nouveau prise par le CHU de Reims qui estime se trouver face à une situation d’acharnement thérapeutique. Nouveau refus des parents qui saisissent le tribunal.
Le tribunal suspend l'arrêt, le Conseil d'État intervient
Le tribunal suspend ce nouvel arrêt des traitements avant sa mise en application, déclarant qu’il « constitue une atteinte grave et manifestement illégale au droit à la vie de Vincent Lambert ».
Mais le Conseil d’État annule le jugement du tribunal un mois plus tard et ordonne à trois médecins spécialistes en neurosciences d’examiner Vincent Lambert. Le Conseil d’État estime que l’alimentation et l’hydratation artificielles peuvent être considérées comme des traitements, et sont donc susceptibles d’être arrêtées.
Le Conseil d’État valide la décision d’arrêter les traitements
Jean-Marc Sauvé, ancien vice-président du Conseil d'État. Crédit : PHOTOPQR/L'EST REPUBLICAIN
« L’ensemble des informations recueillies sur l’histoire, les opinions personnelles de Monsieur Vincent Lambert, ont conduit le Conseil d’État à estimer que l’arrêt des traitements correspondait à sa volonté », déclare Jean-Marc Sauvé, alors vice-président de l’institution.
Par souci d’apaisement, et parce que le principal médecin de Vincent Lambert a quitté l’établissement, le CHU de Reims n’applique pas cette décision.
La Cour européenne des droits de l'Homme se prononce pour un arrêt des traitements
La CEDH, saisie par les parents de Vincent Lambert, n'a pas suivi leur avis sur un maintien en vie de leur fils. Crédit : KEYSTONE/MAXPPP
La Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) valide à son tour l’arrêt des traitements le 5 juin, alors même qu’elle avait été saisie par les parents pour contester la décision du Conseil d’État. Pour les juges européens, l’arrêt des traitements chez un patient hors d’état d’exprimer sa volonté pour le maintenir artificiellement en vie est conforme à la Convention européenne des droits de l’homme.
Le combat judiciaire se poursuit dans les années qui suivent, entre les deux parties de la famille, notamment autour de la tutelle de Vincent Lambert, attribuée par la justice à Rachel Lambert, la femme du patient.
Le Pape s'exprime pour « garder la vie »
Le pape François s'est plusieurs fois exprimé en faveur d'un maintien en vie de Vincent Lambert. Crédit : PHOTOSHOT/MAXPPP
Avec l’arrivée d’un nouveau médecin, le Dr Vincent Sanchez, et après une nouvelle procédure collégiale, l’équipe médicale du CHU de Reims décide d’un nouvel arrêt des traitements en avril. Une décision que la famille conteste devant le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne puis devant le Conseil d’État.
Le pape François se prononce sur l’affaire : « Je voudrais redire et fortement confirmer que l’unique maître de la vie, depuis le commencement jusqu’à la fin naturelle, c’est Dieu !, déclare-t-il, c’est notre devoir de tout faire pour garder la vie ».
> Pour aller plus loin: « Tout faire pour garder la vie », rappelle le pape
Vincent Lambert reste dans un « état végétatif irréversible »
Une expertise mandatée par le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne conclut à un « état végétatif chronique et irréversible ».
Néanmoins, ces experts « considèrent que la réponse aux besoins fondamentaux primaires (alimentation, hydratation, émonctoires, prévention cutanée, hygiène de base) ne relève pas pour certains patients en état végétatif avéré, tel que Vincent Lambert, de l’acharnement thérapeutique ou d’une obstination déraisonnable. »
Feu vert du Conseil d'État pour un nouvel arrêt des traitements
Le Conseil d’État valide un arrêt des traitements. Les parents de Vincent Lambert font alors appel au Comité des droits des personnes handicapées (CDPH) qui dépend de l’ONU, mais la France annonce qu’elle n’attendra pas la décision de cette instance.
L'alimentation et l'hydratation sont arrêtées quelques heures
Dans la matinée, les médecins arrêtent l’alimentation et l’hydratation de Vincent Lambert pendant quelques heures. Mais la Cour d’appel de Paris ordonne la reprise des traitements le soir même, en attendant que le CDPH se prononce sur le fond de l’affaire.
Sur Twitter, le Pape prend position : « Protégeons toujours la vie, don de Dieu, du début à la fin naturelle. Ne cédons pas à la culture du déchet. »
Les deux plus hauts responsables du Saint-Siège en charge des questions de vie et de bioéthique rappellent, le lendemain, que « la nutrition et l’hydratation » de Vincent Lambert ne sont pas une « obstination thérapeutique déraisonnable ».
La Cour de cassation se prononce pour un arrêt
La Cour de cassation invalide la décision de la Cour d’appel de Paris du 20 mai, ouvrant la voie à un nouvel arrêt des traitements.
Troisième et dernier arrêt
Le CHU de Reims entame, pour la troisième fois, un arrêt de la nutrition et de l’hydratation de Vincent Lambert.
> Pour aller plus loin: Entretien : « il faudra essayer de comprendre comment on en est arrivé là »
Les parents renoncent à entamer une nouvelle procédure judiciaire
Les parents de Vincent Lambert annoncent, dans une lettre ouverte, qu’ils ne déposeront plus de recours : « Cette fois, c’est terminé. Nos avocats ont multiplié ces derniers jours encore les recours et mené d'ultimes actions pour faire respecter le recours suspensif devant l’ONU qui bénéficiait à Vincent. En vain ».
Mort de Vincent Lambert
Vincent Lambert décède au matin, après 10 jours d'arrêt des traitements.
« Vincent est décédé à 8h24 ce matin », a précisé son neveu François, exprimant « son soulagement après des années de souffrance pour tout le monde ». « Nous étions préparés à le laisser partir"
Théo Mercadier
à partir d'un format de Jean Abbiateci