Habitat, l'important c'est de participer
À Lille, les Voisins du quai ont enfin emménagé dans leur logement participatif
par Julien DuriezLes douze foyers des Voisins du quai ont emménagé dans leur habitat participatif dans le quartier de Bois blanc, à Lille, sept ans après le lancement du projet.
Chacun arrive avec, qui une tarte, qui une casserole pleine de soupe fumante. Les membres des Voisins du quai, groupe d’habitat participatif lillois, ont pris l’habitude de commencer leurs réunions par un repas pris en commun dans la maison commune de leur habitat groupé. Pour lier, toujours, le convivial et le constructif.
Ce groupe de citoyens constitué il y a sept ans et suivi par La Croix à chaque étape de son projet, a décidé de vivre différemment. Ensemble, ils ont conçu un logement selon des principes écologiques, sociaux et d’ouverture sur le quartier propre aux nombreux projets semblables qui se lancent en France.
Après de longues années dédiées à la conception puis à la construction de leur logement, les Voisins du quai ont donc emménagé à la fin de l’été 2018, dans le bâtiment à ossature et à la façade en bois qui détonne entre les petites maisons de briques rouges du quartier de Bois-Blanc.
Les 12 appartements sont reliés par des coursives, qui donnent sur un jardin partagé, en cours d’aménagement. En commun aussi, une chambre d’amis, une buanderie, un atelier de bricolage, et la maison commune, donc, vaste pièce équipée d’une cuisine, où tous sont réunis pour leur réunion mensuelle.
En ce dimanche de février, les plats passent de mains en mains, de jeunes enfants galopent à quatre pattes et la table s’allonge au fur et à mesure que les convives arrivent, dans une scène qui ressemble au repas dominical d’une grande famille.
Toutes les tranches d’âges et modèles familiaux sont ici représentés. À l’ordre du jour, les relations avec Lille métropole habitat (LMH), le bailleur associé au projet, maître d’œuvre pour la construction des logements, qui a laissé passer beaucoup de malfaçons. [...]
De porteurs de projet à voisins
« Chacun apporte au groupe à sa façon. Nous, ce qu’on ramène beaucoup en ce moment, ce sont des endives ! » , sourit Gilles, urbaniste de 31 ans, qui passe aussi une partie de son temps sur l’exploitation familiale d’endives biologiques, dont il ramène des cageots entiers. « Nous avons un jeune enfant et nous avons moins de temps que d’autres pour organiser ou participer aux apéros qui se sont institutionnalisés le vendredi soir, ou aux autres temps collectifs » , résume le trentenaire.
Sandrine arrive à la fin du repas. Son logement, un duplex où elle loge avec son compagnon, Antoine, et leurs quatre enfants, est le plus proche du salon collectif où se tient la réunion. Pourtant, Sandrine et Antoine, ne sont pas forcément les plus impliqués dans ces temps en commun. « Nous avons de gros problèmes d’isolation, notre parquet, posé à la va vite, doit être entièrement refait », explique le couple.
Plus que les autres, ils sont en colère contre LMH. À tel point qu’ils se sont posé la question, après leur emménagement chaotique, de la viabilité du logement pour une famille de six personnes. « Difficile dans cette situation, avec quatre enfants, de s’investir à fond. C’est la force du collectif qui nous a motivés pour rester », résume Sandrine.
Antoine, Sandrine et le plus jeune de leurs quatre enfants.
Une fois l’emménagement passé, tout n’est donc pas tout rose pour les membres du groupe, qui apprennent progressivement à passer du stade de porteurs de projet à celui de voisins. Sur l’aménagement des parties communes, des petites tensions se font sentir. Déjà perceptible lors des réunions de préparation du projet que La Croix a pu suivre il y a plusieurs années, le débat entre « utopistes » et « faiseurs » se poursuit.
Certains veulent tout réfléchir ensemble avant de faire. D’autres sont davantage dans l’action. Comme l’illustre le projet de construction d’un lombricomposteur en bois de récupération, toujours repoussé. Et finalement remplacé par un composteur en plastique, trouvé d’occasion sur leboncoin.fr, et acheté rapidement par l’un des voisins, sans que tout le monde ait forcément donné son avis.
« Est-ce que ce sont ceux qui font ou ceux qui prévoient qui ont raison ? s’interroge Myriam, la compagne de Gilles. Pour le moment, c’est la lune de miel. Mais il y aura forcément des choses plus agaçantes à gérer à terme. » [...]
► Pour relire les épisodes précédents sur le site de La Croix
- Avril 2013 : À Lille, les Voisins du Quai rêvent d’un logement différent
Depuis près d’un an et demi, les quatorze membres des Voisins du quai conçoivent un logement participatif et solidaire. De réunions en groupes de travail, les futurs voisins prennent toutes leurs décisions à l’unanimité.
- Novembre 2015 : Les Voisins du quai optent pour du bois local pour leur habitat partagé
Abandon du passif, choix d’opter pour du bois local. Les Voisin du quai doivent composer avec des contraintes techniques et des surcoûts. Et faire parfois des concessions sur leurs idéaux écologiques.
- Mai 2016 : Les Voisins du quai posent la première pierre de leur logement participatif
Pose de la première pierre, ou plutôt de la première planche, du logement participatif des Voisins du quai, en présence de tous les partenaires du projet.
- Novembre 2017 : Les Voisins du quai, l’exigeante aventure de l’habitat participatif
Le chantier est lancé. Les Voisins suivent de près son avancée.
Faire circuler la parole
La réunion hebdomadaire suit son cours. La parole circule librement, en toute bienveillance. Lorsque Kévin, 26 ans, atteint d’un handicap mental, qui occupe le logement de solidarité inclus dans le projet s’exprime, tout le monde s’arrête de parler et l’encourage.
La discussion continue sur des projets qui amèneront le groupe à s’ouvrir sur le quartier. L’habitat partagé propose déjà un dépôt de pain une fois – local et biologique, comme il se doit –, une fois par semaine. Elle a accueilli une association locale de brassage de bière et l’une des membres du groupe propose un cours de yoga, ouvert à tous, qui a lieu dans la maison commune.
D’autres projets sont en cours, qui devront permettre aux Voisins de se faire connaître davantage, comme la participation à un projet artistique à l’échelle du quartier, ou une sensibilisation de leurs voisins à la thématique du zéro déchet. « Ce n’est que le début, on vient tout juste d’emménager, explique Junie, mère célibataire d’un adolescent. Il faut rester vigilant à ne pas devenir un microcosme renfermé comme il y en a déjà. »
Autre ouverture, les Voisins du quai accueillent régulièrement des visites et participent aux cafés citoyens organisés tous les deux mois par la branche locale de l’association Eco habitat groupé, avec comme objectif de partager leur expérience dans la construction de leur projet. « Nous avons bénéficié de beaucoup de soutien, estime Sandrine. C’est normal de rendre ce qu’on a reçu. » En donnant l’idée, peut-être, à d’autres de se lancer? ♦♦
Portraits de voisins
Quand Sophie a un rendez-vous à l’extérieur, elle sait qu’elle doit prévoir cinq minutes de marge entre la porte de chez elle et son vélo, pourtant garé à vingt mètres de là. Cinq minutes, c’est le temps minimum pour discuter avec les voisins qu’elle ne manquera pas de croiser sur les coursives ou dans le jardin partagé.
Ce qui pourrait passer pour un désagrément est en réalité exprimée avec un grand sourire par cette assistante sociale qui s’approche de la retraite. Sophie est l’un des trois membres du groupe qui a emménagé cet été à avoir été présente dès le début du projet. À chaque rencontre avec elle lors de reportages sur l’avancée du projet, son premier commentaire se résumait à : « c’est looooong ! ».
Aujourd’hui, sept ans après (!), elle nous reçoit dans son appartement avec vue sur la Deule, la rivière qui traverse Lille, et la promesse d’un beau coucher de soleil. Sophie se sent entourée : « Je vis seule, mais je n’ai jamais le sentiment d’être seule… »♦
Kévin, 26 ans, se souvient très précisément de la date son son emménagement, le 25 septembre 2018. « C’est mon premier appartement, c’était émouvant » , témoigne le jeune homme, qui logeait jusque-là dans un foyer pour handicapés géré par l’association des Papillons blancs.
Durant la visite des différents appartements un dimanche matin, Kévin n’est jamais loin. En chaussons, sur le pas de la porte de Sophie. Dans la cuisine de Lucie, une autre habitante, en train d’apprendre à cuisiner une tarte, qui sera servie à tous les habitants pour le repas pris en commun. Et enfin, attablé avec tout le monde pour la réunion plénière mensuelle.
Depuis le début, le projet des Voisins du quai prévoit deux logements de solidarité, qui devaient accueillir soit des personnes âgées isolées, des jeunes en réinsertion ou des personnes handicapées, bénéficiant de l’entourage bienveillant des voisins. Finalement, à cause de contraintes budgétaires, le nombre de logements solidaires est passé de deux à un seul. C’est Kévin qui a finalement été choisi, par l’intermédiaire des Papillons blancs.♦
« J’ai appelé, on s’est vus, on s’est plu. » Vincent a l’art de parler simplement pour expliquer la raison de son emménagement avec sa femme Caroline et ses deux enfants Archibald, 4 ans, et Séraphine, moins d’un an, dans l’un des appartements du deuxième étage des Voisins du quai.
Les derniers arrivés dans le projet ont bénéficié du retrait d’une autre famille quelques mois seulement avant l’emménagement. Les Lillois avaient déjà auparavant en tête d’habiter dans un habitat participatif, sans avoir été plus loin dans leurs recherches. « Nous avons bénéficié d’un accueil bienveillant, le cadre de vie est idéal pour élever des enfants » , témoigne, souriant, le père de famille.
Comme pour confirmer ses propos, son fils de 4 ans déboule dans ses jambes, suivi par un compagnon de jeu du même âge d’une autre famille. Autour de la table, la petite Séraphine passe à quatre pattes de voisin en voisin, avant de s’arrêter devant la chaise de Kévin qui, plein d’assurance, prend la petite fille sur ses genoux.
Sans voiture par choix, Caroline et Vincent demandent parfois celle de leurs voisins. Ils ont récemment pu utiliser la maison commune pour accueillir famille et amis à l’occasion du baptême de leur fille. Fête à laquelle ont été conviés, une évidence, tous les voisins.♦
Trois questions à...
Jeoffrey Magnier, sociologue, a suivi plusieurs groupes d’habitat participatif, dont les Voisins du quai, pour sa thèse.
Le projet des Voisins du quai a pris sept ans. Pourquoi est-ce aussi long ?
Jeoffrey Magnier : En moyenne, un tel projet prend entre quatre et cinq ans. Plus il y a d’acteurs, plus c’est long. Dans le cas des Voisins du quai, on en compte beaucoup. La mairie de Lille, d’abord, à l’origine de l’appel d’offres. Le bailleur social, ensuite, Lille métropole habitat (LMH), qui a accompagné le projet sans vraiment connaître l’habitat participatif.
Et enfin le groupe d’habitants, dont la composition a beaucoup changé au cours du projet, suite à des désaccords idéologiques pour certains, à des ruptures familiales ou des changements de villes pour d’autres. Au final, le délai, qui peut paraître long, reste assez raisonnable pour la construction d’un logement.
Où en est la reconnaissance institutionnelle de l’habitat participatif ?
Jeoffrey Magnier : Au niveau national, il est tout relatif. Il existe des acteurs associatifs qui se battent pour la reconnaissance du modèle, notamment la Coordin’action nationale des associations du secteur, qui a pesé pour que la loi Alur de 2014 favorise ce genre de modèle. Mais le modèle de coopérative d’habitat créé par cette même loi reste peu utilisé.
Aujourd’hui, c’est à l’échelon local que le soutien est le plus fort. Les collectivités soutiennent les projets en réservant notamment des terrains et en versant parfois des subventions, comme ça été le cas pour les Voisins du quai.
Y a-t-il un avenir pour l’habitat participatif ?
Jeoffrey Magnier : Même si l’habitat participatif reste encore largement méconnu du grand public, notamment populaire, mon intime conviction est qu’il va s’élargir dans les prochaines années, notamment grâce au soutien des bailleurs sociaux, pour qui ces projets permettent de changer leur image de machines à construire.♦