Des cours de cuisine au collège »

Pour sensibiliser à l’alimentation et au « vivre-ensemble »

par Paula Pinto Gomes Logo La Croix
Crédits photo: Paula Pinto Gomes

Un projet fédérateur

Le printemps hésite un peu en ce matin d'avril. Un brouillard épais nappe les rues de Bordeaux d’une atmosphère laiteuse et froide. Mais cette météo peu engageante ne décourage pas la dizaine d’élèves du collège Aliénor d’Aquitaine d’aller faire les courses au marché des Capucins, à quelques centaines de mètres de l’établissement. Accompagnés par Caroline Bayle, animatrice culinaire, Virginie Chardeyron, conseillère principale d’éducation, Philippe Bernard et Nathalie Lingrand, enseignants, ils partent acheter des produits pour préparer un attiéké, ce plat ivoirien confectionné à base de manioc.

L’activité surprend dans le cadre scolaire. Et les élèves eux-mêmes semblent un peu étonnés de se retrouver devant les étals colorés de fruits et légumes. Mais l’atelier cuisine mis en place pour la première fois cette année dans le collège s’inscrit bien dans une démarche pédagogique : « L’objectif est de sensibiliser les collégiens à l’alimentation et à tout ce qui l’entoure, la qualité des produits, les circuits d’approvisionnement, la gestion des déchets… Il s’agit de modifier les comportements et de contribuer à construire un sens critique aiguisé sur une question fondamentale de santé publique et d’équilibre des individus », résume le principal de l’établissement, Jean-Pierre Govignon (lire encadré).

Des élèves allophones et d'autres en situations de handicap

Chez le marchand de primeurs, les cuisiniers en herbe choisissent des tomates, des oignons, des poivrons verts, de l’ail, du citron et du gingembre pour préparer le plat africain proposé par une élèv, absente ce matin-là. Ils achètent également des fraises, des kiwis, une orange « non traitée » et du basilic pour une salade de fruits. Caroline Bayle demande le nom et la couleur de chaque produit. Philippe Bernard, lui, montre une fiche avec le mot écrit.

Ce premier atelier cuisine s’adresse, en effet, aux élèves allophones d’une classe UPE2A (Unité pédagogique pour élèves allophones arrivants) et à ceux d’une classe Ulis (Unité localisée pour l’inclusion scolaire), un dispositif destiné aux élèves en situation de handicap. Trois jeunes parmi les six adolescents allophones du groupe viennent d’arriver en France et ne parlent pas du tout le français.

Avec l’aide de l’enseignant, ils mettent des mots sur des fruits ou des légumes qu’ils connaissent et d’autres qu’ils n’avaient peut-être jamais vus. Tous écoutent sagement l’animatrice leur parler avec gourmandise des produits et, à voir leurs yeux briller, on se dit qu’ils en goûteraient bien certains sur le champ.

« C’est un projet qui permet de réunir des élèves qui ne se seraient peut-être jamais rencontrés dans la cour »
~ Virginie Chardeyron

Sensibilisés aux odeurs lors d’un atelier d’éveil sensoriel, ils reconnaissent le parfum de la ciboulette et du basilic, à la grande satisfaction de Caroline Bayle qui prend aussi quelques feuilles d’ail des ours entre ses doigts pour les faire sentir, en expliquant que cette herbe aromatique sert à faire du pesto. Tous les élèves ne comprennent pas, mais ils semblent heureux de repartir avec ces victuailles. Krasimir, jeune garçon d’origine Bulgare au regard espiègle, porte la cagette de fraises à bout de bras, sur le chemin du retour, tel un trophée.

« C’est un projet fédérateur qui permet de réunir des élèves qui ne se seraient peut-être jamais rencontrés dans la cour, s’enthousiasme Virginie Chardeyron. Nous sommes dans un établissement où il y a une vraie mixité sociale et, en tant que conseiller principal d’éducation (CPE), le vivre ensemble est une mission qui me tient très à cœur».

► LES AUTRES ACTIONS

Au-delà de l’atelier cuisine qui a concerné 24 élèves sur trois jours, d’autres actions ont été menées dans l’établissement depuis la rentrée :
- Visite de la cuisine avec le chef cuisinier
- Enquête auprès des commerçants sur l’origine des produits
- Visites des fermes à la rencontre des producteurs 
- Lecture de textes anciens sur l’alimentation et rédaction « à la manière de » par des élèves
- Comparaison des habitudes alimentaires en classes de langues
- Travail sur le petit déjeuner avec intervention d’élèves infirmiers
- Sensibilisation des classes à horaires aménagés, spécialité du collège (musique-danse-arts plastiques-théâtre) et des sections sportives (football et basketball) sur l’hygiène et l’équilibre alimentaire.

Au marché des Capucins de Bordeaux
Crédits photo: Paula Pinto Gomes

Un projet pédagogique innovant

À peine arrivés dans la salle de classe, les élèves se mettent aux fourneaux, après s’être lavé les mains et équipés de tabliers et de toques, comme de vrais cuistots. À chaque étape, Philippe Bernard accompagne les élèves de sa classe UPE2A, avec beaucoup de bienveillance, en répétant les mots très distinctement. Un temps photographe, l’enseignant est revenu à son premier métier et dit « avoir trouvé sa place » dans ces structures destinées aux enfants migrants. Nathalie Lingrand, elle, s’occupe des quatre adolescents des classes Ulis avec la même attention, aidée par Jean Savy, auxiliaire de vie.

Comme tout bon chef qui se respecte, Caroline Bayle est aux commandes et organise la préparation du repas. Elle répartit les élèves en quatre ateliers : salade de fruits, crêpes, semoule attiéké et légumes. Plus tard, ce sera poisson et bananes plantain. Sages et appliqués, les élèves suivent les consignes : ils lavent, épluchent, découpent, battent et font cuire les aliments, guidés par les adultes qui mettent la main à la pâte en cas de besoin.

A l’atelier salade de fruits, Djony et Doncho coupent en silence les kiwis et les fraises, dont ils ont beaucoup de mal à retenir le nom. Djony arrive de Roumanie où il n’a jamais été scolarisé. Quant à Doncho, d’origine bulgare, « il ne progresse plus en UPE2A », confie Philippe Bernard qui le sollicite beaucoup pour pouvoir le maintenir dans cette structure. A la question de l’enseignant sur le nom du fruit rouge, maintes fois répétée, le garçon aux grands yeux noirs finit par répondre « yagoda » (fraise en bulgare), avec un grand sourire. Gourmand, il ne résiste pas au plaisir d’y gouter et, se sachant filmé, lève les deux pouces en l’air avec un clin d’œil facétieux (voir la vidéo).

« Cette activité est l’occasion de valoriser la culture des élèves»
~ Philippe Bernard

À côté, Julien, Yanis et Estefan découvrent avec curiosité les différentes étapes de la préparation des crêpes. L’utilisation du mixeur impressionne particulièrement Julien, élève de la classe Ulis, qui semble s’émerveiller de tout ce qu’il voit. Derrière eux, Krasimir, le plus à l’aise en français des élèves allophones, prépare la semoule avec Amar, le seul Afghan du groupe majoritairement composé de Roumains et de Bulgares.

La découpe des légumes revient aux trois filles de l’équipe  : Sybel, Lucile et Zeynep. «Habituée à cuisiner à la maison », cette dernière sera en charge de la cuisson, avec l’aide de ses deux camarades, même si les échanges sont un peu limités avec Sybel, une jeune Roumaine aux yeux rieurs qui ne parle pas le français.

« Cette activité est l’occasion de valoriser la culture des élèves, souligne Philippe Bernard. Nous avons demandé à chacun de nous présenter un plat de leur pays d’origine et nous, de notre côté, nous allons leur montrer comment se déroule un repas à la française ».

Atelier cuisine
Crédits photo : Paula Pinto gomes

Arts de faire culinaire au collège

Conçu par Caroline Bayle et Marie-Line Huc, diététicienne, l’atelier s’inscrit dans le programme « Arts de Faire culinaire au Collège » (AFCC), un projet innovant soutenu par les ministères de l’éducation et de la santé. « Pour faire évoluer les mentalités en matière d’alimentation, il faut mettre les élèves en situation de pratiquer et de toucher du concret, plaide Marie-Line Huc. L’atelier cuisine est un moment de partage où on peut travailler sur le bien-être et prendre conscience de nos différences. Lorsqu’on a en confiance en l’autre, on accepte de s’ouvrir et de dépasser ses préjugés. » Ambitieux, le projet entend aussi à introduire le « faire » à l’école pour valoriser les compétences non scolaires.

Après deux heures de préparatifs et les félicitations de la cheffe, l’équipe de jeunes cuisiniers à prête à déguster l’attiéké. Poisson, semoule, poivrons, oignons et bananes plantain, chacun se sert selon sa faim. Le plat a du succès auprès de certains élèves, mais la plupart se précipitent surtout sur les crêpes et la salade de fruits qu’ils dévorent avec gourmandise. « L’important c’est d’avoir goûté, conclut, philosophe, Caroline Bayle. On accepte qu’un enfant n’apprécie pas un aliment, mais l’objectif est de lui faire dépasser le stade “j’aime”, “j’aime pas” et d’éveiller ses sens pour l’amener plutôt à décrire ce qu’il ressent en termes de texture, d’odeurs et d’arômes. »

POUR ALLER PLUS LOIN

    ► L'OBÉSITÉ CHEZ LES JEUNES

    L’obésité a plus que décuplé chez les jeunes dans le monde depuis 1975. En 2017, il y avait 124 millions d’obèses chez les 5-19 ans, contre 11 millions il y a quarante ans, selon une étude portant sur 200 pays publiée dans la revue médicale britannique The Lancet. Les pays les plus touchés sont certaines îles de Polynésie (plus de 30 % d’obèses chez les 5-19 ans aux îles Cook, par exemple), alors que ce taux atteint ou dépasse 20 % aux États-Unis, mais aussi en Égypte, en Arabie saoudite, au Koweit et au Qatar. En France, les chiffres sont plutôt stables : en 2015, 16,9% des 6-17 ans étaient en surpoids et 3,9% obèses, contre 17,6% et 3,3% en 2006. 

  • « La malnutrition des enfants perdure en France »
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