Intégration accélérée à Lille pour les « réfugiés de l’Aquarius » Logo La Croix

Par Julien Duriez

Cours de français donné par des bénévoles aux migrants de l'Aquarius, à Lille.
Crédit : Julien Duriez

Quarante-deux réfugiés Soudanais débarqués de l’Aquarius ont été accueillis à Lille il y a sept mois. Le soutien de la mairie et la forte mobilisation des associations et des habitants permettent une intégration accélérée.

Dans les locaux d’un ancien EHPAD gérés par l’association lilloise La Sauvegarde du Nord, les tables du réfectoire ont été regroupées pour former un carré. Les deux bénévoles Maïssa et Rémy, étudiants en Français langue étrangère (FLE), y disposent des piles de journaux. La leçon du jour, pour quelques-uns des 42 réfugiés soudanais accueillis par l’association présents cet après-midi-là, porte sur la lecture de la presse.

« Vous avez tous les jours des journaux gratuits à disposition dans les stations de métro, n’hésitez pas à les consulter », explique Rémy, avant de détailler ce que sont un sommaire et une rubrique. La semaine précédente, le thème abordé était celui des petites annonces. « Nous proposons des cours très tournés vers la pratique, complémentaires des enseignements de français prévus dans la formation citoyenne que suivent tous les réfugiés », détaille Maïssa.

Sept mois après leur arrivée à Lille, les 42 jeunes Soudanais âgés de 18 à 30 ans ont profité d’un processus accéléré d’intégration. Ils ont obtenu le statut de réfugié et une carte de résident de dix ans, trois semaines seulement après leur arrivée en France, alors qu’une demande auprès de l’Ofpra prend en moyenne trois mois. Aujourd’hui, les « migrants de l’Aquarius », comme on les appelle encore à Lille, ont déjà tous suivi la formation républicaine et les 200 heures de cours de français prévus dans le parcours de tout réfugié en France.

« Ma priorité, c’est d’abord d’apprendre la langue », déclare Salah, 25 ans, dans un français encore balbutiant, avant de s’asseoir pour suivre le cours du jour donné par les bénévoles. « Ces jeunes me bluffent, témoigne Martine Aubry, maire de Lille, toujours en contact avec les jeunes hommes. Après tout ce qu’ils ont vécu, ils ont une telle énergie, une telle envie de bien faire ! »

Cours de français dispensé par des bénévoles
Crédit: Julien Duriez

Tricoter des gants pour l'hiver

À l’arrivée des réfugiés dans la capitale nordiste le 11 juillet 2018, les Lillois ont été nombreux à répondre à l’appel à la solidarité lancé par la maire. Sensibilisés après le blocage diplomatique qui avait empêché l’Aquarius de trouver un port d’accueil pendant onze jours, simples citoyens et entreprises locales s’étaient mobilisés pour les habiller, les loger et les nourrir.

Les résidents d’une maison de retraite lilloise ont ainsi proposé de tricoter des gants pour les réfugiés en prévision de l’hiver. Une grande chaîne d’électroménager a ainsi offert des appareils pour équiper les locaux de La Sauvegarde du Nord ; un club de foot et un club de basket ont ouvert leurs portes pour permettre aux nouveaux venus de pratiquer un sport.

Les salariés de la Sauvegarde ont dû gérer cette vague de générosité. Ils ont notamment sélectionné, parmi les nombreuses candidatures, une quinzaine de bénévoles prêts à s’engager dans la durée, avec des aptitudes correspondant aux besoins des 42 Soudanais.

Anthony Dutemple, ancien salarié d’ONG au Moyen-Orient, est l’un d’eux. Le chef de projet de 36 ans vient deux fois par semaine dans les locaux gérés par l’association. Il propose des cours de français et un soutien dans les démarches administratives. Surtout, il discute avec tous les réfugiés qui le désirent et propose des sorties. Le bénévole a ainsi déjà emmené certains des réfugiés au musée, au marché de Wazemmes, dans le Vieux-Lille ou au stade Pierre Mauroy, pour aller voir jouer l’équipe du Losc.

« Cela permet de sortir de la structure et des échanges formels avec les travailleurs sociaux. Nous sommes là pour leur faire découvrir le mode de vie à la française, leur apprendre des mots d’argot, expliquer ce qu’il se passe à la télé », détaille le bénévole.

Sharaf (le pouce levé) entouré de trois réfugiés Soudanais dans la cuisine du centre d'accueil. Les 42 réfugiés participent à tour de rôle aux tâches ménagères afin de favoriser leur autonomie.
Photo : Julien Duriez

Un an pour devenir autonome

Si tous les réfugiés sont encore pour le moment concentrés sur l’apprentissage du français, la Sauvegarde commence à préparer la suite. L’ancien EHPAD où ils sont logés doit fermer ses portes cet été. En fonction des avancées des uns et des autres, les travailleurs sociaux entament progressivement des démarches pour aider les réfugiés à trouver des emplois et à se loger.

« Tout est accéléré, résume Virginie, une des responsables de la structure. On leur demande de devenir autonomes en un an quand d’autres ont vingt-quatre mois. »

Deux réfugiés ont déjà trouvé un CDI comme plongeur dans le restaurant de Jean-Sébastien Brisebard, l’un des chefs d’entreprise à s’être mobilisés à l’arrivée des 42 Soudanais. Abdulrassul, l’un des deux embauchés, a depuis considérablement progressé en français.

Le jeune Soudanais, membre comme la plupart des autres réfugiés d’une ethnie minoritaire, poursuivie par le pouvoir central, raconte son exil moitié en français, moitié en arabe, aidé par un interprète. Après avoir quitté son pays, il a passé un an en Égypte, puis deux ans en Libye, où il a travaillé comme mécanicien. Sur les raisons qui l’ont poussé à quitter son pays à 19 ans, il préfère ne pas s’étendre.

« Abdul était assez renfermé à son arrivée. Depuis qu’il a trouvé ce travail, il s’est épanoui, témoigne Virginie. Certains des réfugiés sont passés par des épisodes traumatisants. Mais tous, ils ont en commun de vouloir aller de l’avant. »

Les 42 Soudanais posent avec Martine Aubry à l’issue de la cérémonie de remise de leur carte de séjour le 3 août 2018 dans l’Hôtel de Ville de Lille.
Crédits : PHILIPPE HUGUEN/AFP

Témoignages



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« Le Nord est, de par son histoire, une vraie terre d’accueil »

Photo : Julien Duriez

« Même si, ici aussi, l’immigration est un sujet politiquement bouillant, le Nord est, de par son histoire, une vraie terre d’accueil. » Jean-Sébastien Brisebard, 37 ans, tient le Comptoir 44, dans le Vieux-Lille. Il relaie tout de suite l’appel à la solidarité lancé par la mairie de Lille à l’arrivée des migrants tout juste débarqués de l’Aquarius.

Le restaurateur propose de centraliser des dons – nourritures et biens de premières nécessité – dans son restaurant, puis les livre à la Sauvegarde du Nord. Il annonce assez vite à l’association qu’il cherche deux plongeurs et qu’il est prêt à réserver ces postes à des réfugiés accueillis à Lille.

Pour le restaurateur, il ne s’agit pas d’un recrutement comme un autre. « Il y a, encore aujourd’hui, la barrière de la langue, qui provoque des ratés. Mais ils ont ”la banane” et ils se donnent. Leur présence apporte du sens au travail ici et motive l’ensemble de l’équipe. »


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« C’est encore dur de rencontrer des Français »

Photo : Julien Duriez

Sharaf, mêle le français et l’arabe pour détailler son parcours. Passé pendant deux ans en Libye, où il a notamment travaillé comme boulanger, avant de tenter la traversée, il espère pourvoir entamer bientôt une formation pour exercer ce métier en France. En attendant, il apprend le français, pratique la guitare, joue au football. Il aime aussi danser, raconte-t-il en souriant.

Tous les samedis soir, le Soudanais de 25 ans se rend à la Gare Saint-Sauveur, une ancienne gare près de la mairie reconvertie en lieu culturel. S’il comprend aujourd’hui le français, le réfugié a toujours du mal à s’exprimer. « C’est encore dur de rencontrer des Français », regrette-t-il.